L'initiation de Melgor Aelith

Les heures du jour passèrent rapidement et lorsque le soleil disparut au loin derrière les arbres, Laya, Nimrodel et Elroniel étaient reposées et prêtes.

Elles retrouvèrent Melgor à la lisière de Sombrebois. Etait-il prêt ? Elles le sauraient bientôt...

Elroniel ferma les yeux et murmura quelques prières, agitant les doigts dans une sorte de danse compliquée. Puis, subtilement, lentement, ses contours, sa silhouette se brouillèrent et ses troublèrent légèrement aux yeux des autres.

Elle fit signe à Melgor, Laya et Nimrodel de l'imiter .

Laya a écrit:: Nimrodel, Melgor et Laya s'exécutèrent.
Si un voyageur s'était aventuré à l'orée des bois en cet instant, il n'aurait pu distinguer que suatre formes floues et indécises... auxquelles il n'aurait pas prêté attention.

Melgor, Laya et Nimrodel l'imitèrent chacun son tour.

Alors, Elroniel sortit de sa sacoche une sorte de plat creux et, s'agenouillant, elle le posa au sol devant elle et le remplit d'eau.
Fermant les yeux, elle se concentra et médita assez longuement, puis saisit sa pierre de Lune, qu'elle présenta en hommage sous les rayons de l'Astre Divin, et le laissa glisser au fond de l'eau.

Lorsqu'il atteignit le fond, la surface se troubla et une image floue de Melgor s'y dessina lentement, de plus en plus nette. Il était entouré des membres du culte, à la lisière de Sombrebois, et semblait attendre patiemment.

Voyez, mes soeurs, Melgor, les pouvoirs que la Deesse nous accorde.
Elle est Deesse de la Nuit, Maitresse des Ombres et Reine des Tenebres, mais ce don qu'elle nous fait, c'est la Vue. Shadaliel nous offre de Voir comme nul autre ne le peut.
Mesurez la valeur de ce don.

Elle regarda tour à tour les trois personnes présentes puis s'attarda sur Melgor

Nous sommes ici cette nuit parce qu'un homme a decide d'accepter ce don.
Melgor, il y a plusieurs mois que vous etes parmi nous, que vous nous cotoyez quotidiennement, que vous apprennez de nous les preceptes de la Sombre Deesse. Ce soir, Elle va poser les yeux sur vous.
Tournez vous vers l'Astre Divin, dites nous, dites Lui pourquoi c'est Elle que vous avez choisie...

Melgor n'eut pas de mal à prendre un air concentré. Se tourner sans vaciller vers l'Astre Divin ... Ah tiens, il y en avait deux, d'ailleurs. Il essaya d'effectuer la mise au point. Lorsque les deux Lumières se fondirent en une seule, des mots se formèrent naturellement depuis le plus profond de son être, et résonnèrent dans la nuit.

Qui suis-je ?
Assurément une migraine.
Où vais-je ?
Tremblotante dégaine ...

Chacun se prévaut de côtés lumineux.
Dévoué, gentil, aimable ou généreux,
Après tout, qui ne l'est pas pour soi ?
Ce que l'on est, se définit plus bas :

Sombres recoins de l'esprit.
Cavernes ruinées, souffrance.
Souvenirs et haine d'enfance.
Délimitent frontières infinies.

Déchirant les zones lumineuses,
Communes donc sans intérêt,
Plaquant limites vénéneuses,
Elles incarnent notre idendité.

Chacun possède les siennes.
Quelqu'un est gentil pour
La quantité d'actions chiennes
Qu'il supporte en un jour.

Jusqu'à ce qu'il craque,
L'ombre d'un vieux cloaque,
Souvenir d'antiques agapes
En compagnie de sattrapes.

Je puis offrir d'amitié un verre.
Deux signifient profond amour.
Au-delà, il vaut mieux se taire.
Car de loin est franchi le pourtour.

Il en est ainsi pour ... tout, au final.
Un pétale n'est jamais qu'admiré
Pour la manière dont sont ciselées
Les contours où il cesse d'être pétale.

La lumière est éclairée par l'ombre.
Le silence se fait entendre par le bruit.
La vie se savoure en goûtant à la mort.
Cela, seule Shadaliel l'a compris.

L'entrevoir entrouve une entropie entraînante.
A mon grand dam, je l'admets plus grisante
Que l'ivresse absolue du trouble alcool.
Voilà pourquoi j'adhère à cette Ecole.

Melgor cligna des yeux, hébété.

Elroniel avait elle aussi le regard fixé sur l'Astre lorsque Melgor commença à parler.
La Lune, ronde, pleine, éclatante de lumière, vibrante de pouvoir. C'était dans ces moments là, toujours, qu'Elroniel se sentait le plus en phase avec sa déesse, le plus forte.

Elle savoura ces instants particuliers où les rayons de la Lune,par une trouée dans la forêt, venait baigner leurs visages et où les paroles de Melgor s'envolaient vers l'Astre.

Après quelques phrases, elle baissa le regard à nouveau vers Melgor et, tandis qu'il parlait, un fin sourire se dessina sur son visage. Parfois même, elle dut se mordre la lèvre pour réprimer un léger amusement devant sa prière si particulière.
Mais manifestement, Elroniel appréciait ce qu'elle écoutait.
Elle avait la réponse à sa question à présent. Il était prêt, elle en était sûre.

Lorsqu'il eut achevé, elle laissa le silence imposer son bourdonnement sourd, comme pour illustrer les propos de Melgor.

Elroniel récupéra dans son récipient sa pierre de jais qu'elle serra dans son poing avant de se mettre à murmurer des prières. Puis elle s'approcha de Melgor et posa la main sur son épaule.
Pour l'ancien mage, les alentours se brouillèrent soudainement, à une grande vitesse, comme sous l'effet de l'alcool. Une sorte de brume se mit à flotter autour de lui, des volutes de magie voquaient dans l'air. Ce fut l'horizon qui disparut le premier, puis le noir se rapprocha et engloutit les chaumières de Delnam, au loin. La route disparut à son tour, et les ténèbres avancèrent encore, dévorèrent le fleuve, et submergèrent Melgor.
Il était aveugle.

Elroniel posa ses mains sur les épaules de Melgor et murmura, d'une voix grave :

Melgor, ainsi vous etes comme le dormeur. Vous etes comme celui qui garde ses paupieres fermees et qui refuse de voir. Luttez, luttez contre cette paresse qui obstrue nos perceptions, contre cet aveuglement, ouvrez tous vos sens, regardez ! Apprennez a voir !

Puis Elroniel ôta ses mains des épaules de Melgor et recula de deux pas, retournant auprès de ses soeurs.

C'était malin, ça. Il ne voyait plus rien. Il devait sans doute dire quelque chose de profondément intelligent, ou avoir une révélation.
En attendant, il se composa un visage vachement concentré.

Il se rappela ces histoires d'aveugles avec une ouïe particulièrement fine. Il tendit l'oreille. Enfin les oreilles, autant mettre toutes les chances de son côté.

Il entendit ... le délicat pépiement d'oiseaux, rythmé par les cris plus rauques et primaires des chouettes. Le trouble de l'eau traversée par les sauts d'un poisson. Le courant. Le bruissement des feuilles et les craquements des branches.
Oui, bon, en même temps, il était dans une fôret au bord d'un fleuve, c'était normal tout ça.

Il renifla ... une odeur de pieds et de brûlé assaillit ses narines. Ah oui, Laya ... n'était-ce pas l'issue pour vaincre ces ténèbres ...

- Nis Laya, vous pourriez allumer ...

Melgor perçut très nettement quelque chose. Un sentiment d'opposition très puissant. Teinté d'une gifle mentale.

- Euh non, rien, oubliez, merci.

Le front de Melgor se plissa. Il pouvait donc ressentir des choses qui ne s'exprimaient pas avec les sens habituels.
Il cessa de s'intéresser à l'extérieur, trop vaste, pour se concentrer sur lui-même.
Il se rendit compte qu'il connaissait bien cet état ... il avait déjà été proche du coma éthylique. Non ! C'était différent.

L'ivresse le parcourait. Mais il ne sentait pas qu'elle lui coûta son prix habituel. Nulle trace de confusion, nulle difficulté à réfléchir. Tout était clair, limpide, dans son esprit et dans son corps.
Il se sentait lourd, pesant. Mais pas dans le sens habituel, qui était bien souvent le sens du sol. Il fit quelques pas pour se le prouver.
Non, il marchait droit, sans difficulté aucune. Au contraire. Ce poids était celui qui arrimait, celui qui solidifiait. Qui rendait plus sûr.
Il ne voyait rien. Pourtant ... là encore devait se nicher une nuance méliorative.

Il inspira longuement, invoquant l'ivresse et la force nouvelle qui étaient en lui. Força ses yeux à s'ouvrir, à ne plus fuir le monde de peur d'un éblouissement et d'un mal de crâne. Il n'en était plus à ce stade.
Il eût l'impression d'être un nouveau-né quand il posa son regard sur les environs pourtant familiers.
La nuit enveloppait les alentours, mais il n'avait jamais vu aussi clair, aussi précisément. Les ombres scintillaient, changeaient, révélaient.
Il vacilla. Il sentait qu'il pouvait faire face à tout cela, mais regarder trop loin lui causait pour le moment une overdose de sensations.

Il concentra son attention et son nouveau regard sur ses ... Soeurs. Il le voyait clairement, maintenant.
Leurs yeux retenaient et reflétaient la nouvelle lueur qui venait de naître dans les siens.
Il se sentit bien. Presqu'ému.

- Mes Soeurs ... Vous etes tres belles. Les Ombres vous habillent a merveille.

Elroniel eut l'air satisfaite.
Elle fit un pas vers Melgor et, sans sourire, lui dit d'une voix grave

Agenouillez vous, Melgor, agenouillez vous pour la premiere fois sous le regard bienveillant de Shadaliel. Pensez a tout ce que vous avez appris sur Elle pendant ces longs mois a notre contact, et au cours de notre ceremonie. Meditez...

Melgor s'exécuta. Elroniel s'avança encore et plaça ses deux mains sur ses tempes.
Laya et Nimrodel posèrent chacune une main sur une épaule de Melgor.

Elles fermèrent alors les yeux et la voix d'Elroniel, grave, un peu hésitante, s'éleva pour chanter :

Divine Shadaliel,
Cet homme t'offre sa foi
Accepte le a tes cotes
Vois le d'un oeil bienveillant

Dans les meandres de la foi,
Guide le vers Toi
Et veille sur sa vie
Comme tu veilles sur nous

***Shaltinanwena, tapie dans l'ombre, avait regardé avec approbation teintée d'amusement la prière de Melgor qui, toute inhabituelle qu'elle soit, était sincère, et c'était ce qui comptait le plus... pendant toute la réflexion que son initiation lui causait, elle sentit une émotion croissante grandir en elle. Elle, qui avait longtemps méprisé de nombreux hommes, se sentait désormais proche de quelques uns, en lesquels elle sentait chaque jour quelque chose de plus... de différent... et Melgor Aelith faisait maintenant partie de ceux la...
Quand il ouvrit les yeux, elle sentit Son aura, celle de sa déesse, entourer Melgor. Il rayonnait à ses yeux et, quand il regarda ses amies, Shalti essuya une larme de joie quand elle l'entendit prononcer ce mot... Soeurs... il avait compris.
Heureuse, elle s'effaca discrètement, laissant à ses soeurs le privilège de ces moments qu'elle ne savait controler, et s'enfonca dans l'ombre des bois, ombre qui était son domaine, pour se diriger vers les festivités qui, elle sentait, lui permettrait de faire cadeau à certain de sa langue la plus acéree, de ses parôles railleuses... tapissant l'émtion qu'elle ressentait au fond de son coeur, elle se dirigea vers les bruits heureux de la fête, un sourire railleur et provocant sur les lèvres...***